"Evitons de soigner une crise d’appendicite par la lecture d’un livre sur toutes les maladies du système digestif "… 

Par Christian Moretto

Souffrance au travailGénéralement, les entreprises ont du mal à gérer le stress de leurs employés dans la mesure où toute activité professionnelle et humaine est porteuse de stress et que le stress est dans une certaine mesure une chose positive…


Le stress positif motive, donne de l’envie, de l’allant, de l’énergie pour faire les choses et pour avancer.

Mais quand ce stress dépasse un certain niveau, qui dépend et est fonction de la cause du stress, du contexte, de la personne, de l’activité, de la philosophie et de la culture de l’entreprise ou de l’organisation, des relations entre les acteurs dans et hors de l’entreprise, alors ce stress ne devient plus gérable et entraine une rupture, une crise…



Il y a essentiellement deux formes de stress :

La première forme de stress provient d’un événement identifiable dans l’histoire de l’entreprise et qui peut être un événement bénéfique tout comme un changement catastrophique et donc négatif (perte de marché, gain de marchés supplémentaires, restructuration voulue ou pas, réorganisation imposée ou subie, délocalisation de l’entreprise ou redéploiement des employés, succès commerciaux qu’il va falloir confirmer, croissance de l’entreprise avec augmentation du nombre des collaborateurs, etc.). Ces situations correspondent à un traumatisme, le passage d'une onde de choc (un choc plus ou moins étendu dans le temps) qu’il va falloir absorber. La difficulté dans ce cas est le retour à une autre situation d’équilibre, à une adaptation dans une nouvelle situation de « normalité ». Cette difficulté est liée au fait que les individus et même l’organisation gardent en mémoire les souvenirs du traumatisme ou du changement et qu’ils n’arrivent pas à le dépasser pour recommencer leur activité « comme avant » (le « comme avant » étant en fait une illusion et n’existe pas, car jamais rien n’est jamais comme avant - le passé est toujours perdu et inaccessible) ou bien n’arrive pas à s’adapter à la nouvelle donne et a faire le deuil du « bon vieux temps ». Pour une catastrophe tout ce passe comme dans le domaine clinique avec un trouble post-traumatique de stress – l’image qui y correspond le plus est celle d’un événement subit comme pendant l’ouragan Katarina ou les attentats du 11 septembre ou lors d’un naufrage lorsque qu’un bateau coule après avoir heurté un récif. Dans ce cas les stratégies d'intervention consisteront à amener la personne ou l’organisation à faire décanter l’événement traumatique et à « archiver le passé dans le passé » afin de libérer les énergies et de leur permettre de s'investir et d'être de nouveau disponible dans le présent et de préparer et construire le futur. Dans le cas d’un stress dû à un événement positif, les stratégies d’intervention chercheront à faciliter le deuil d’un passé révolu et à orienter les ressources personnelles et structurelles vers l’adaptation aux changements afin de créer une nouvelle « réalité » fonctionnelle.

La deuxième forme de stress correspond à des activités du quotidien qui sont tendues, parfois difficiles et demandeuses en énergie, attention et contrôle des émotions et qui se maintiennent dans le temps. La rupture se produit cette fois par l’accumulation de micro fractures et non pas à cause d’un événement bien précis. Une métaphore de ce type de stress peut être représenter par l’image de la succession de vagues pendant des mois et des mois qui viennent continuellement « lécher » la coque d'un bateau et qui, à force de persévérance, en percent la coque et le font couler… c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase… et l’on ne peut pas dire que le vase déborde à cause de la dernière goutte mais plutôt à cause de l’accumulation de toutes ces gouttes. Dans ce cas précis, il est impératif de voir avec les individus et les organisations, comment ils gèrent les sources quotidiennes de stress : la relation, la communication, et les activités en interne, avec l’extérieur, et la société en général. A partir de là, on peut définir les points faibles à améliorer et offrir toutes une série de techniques heuristiques et adaptés aux besoins de la personne, de l’équipe ou même de l’organisation. Ces techniques sont à expérimenter et non pas à apprendre de manière théorique et concernent les domaines du problem-solving  - les stratégies de résolution de problème-, les techniques de construction et de réalisation d’objectifs - un objectif doit être défini d’une certaine manière pour être réalisable et les étapes de sa réalisation doivent être de même construites de manière stratégiques-, la gestion de la communication - avec les clients, les collègues, des collaborateurs,les supérieurs, les fournisseurs, et soi-même-  et la gestion des relations humaines - capacité à dire « non », à gérer une équipe, à gérer des délais et des priorités, etc.-. Ce domaine correspond à l’ère des techniques de gestion des activités du quotidien et de l’efficacité et de l’efficience.

Mais il existe une autre configuration qui correspond au mélange (détonant !) entre les 2 formes de stress précédemment décrites et où un accident, un changement, un événement positif ou catastrophique se surajoute au stress quotidien. Il y a superposition du stress de la gestion du changement au stress de la gestion du quotidien tout comme quand les effets d’une tempête se superposent à la prévisible montée des eaux due à la marée. L’addition des deux phénomènes submerge des digues qui auraient résisté à la tempête et a fortiori à la marée mais malheureusement pas à la combinaison des deux facteurs. Dans cette configuration, un panaché d’interventions devront être offertes en fonction de priorités préalablement définies et devront être suivies et corrigées au cas par cas et de manière continue afin de coller le plus possibles à l’évolution de la situation jusqu’à l’obtention d’un premier équilibre. Ce premier équilibre pourra être de nouveau réajusté et ainsi de suite jusqu’à l’obtention de la configuration désirée.

De part mon expérience en France, Italie et aux USA, je dois dire que ces problèmes de gestion du stress en entreprise sont laissés à la charge des services de ressources humaines qui les « sous-traitent » à des organismes extérieurs de formation, ou à des psychologues qui interviendront à des niveaux théoriques et normatifs. Le problème associé à cette stratégie réside dans le fait que l’on applique à une difficulté humaine, événementielle, relationnelle (équipe, organisation, société), communicationnelle, et pragmatique une solution théorique de formation et de psychologie. Cela revient à soigner une crise d’appendicite par la lecture d’un livre sur toutes les maladies du système digestif…
Une solution rassurante a été bel et bien trouvée mais elle ne correspond pas au niveau logique où le problème est apparu.

 

CM

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