L'autorité des parents "sens dessus dessous" et le règne de l’enfant roi...
par Béatrice Giraudeau - Thérapeute et coach de vie / Partnenaire de recherche LACT
Blog : Sculpter sa vie -
Comme je l'avais déjà écrit dans Echec et phobie scolaire, de plus en plus de parents dépassés m'appellent et me consultent pour gérer la relation avec leurs adolescents, le plus souvent déscolarisés ou déjà bien décrochés de leurs études, errant sans projet de vie, déprimés, addict aux écrans et de plus en plus au cannabis, avec qui les conflits sont devenus quotidiens, parfois menaçants et violents. Ces parents impuissants "s'arrachent les cheveux", dans le plus grand découragement et désenchantement. Ils me disent avoir tout essayé, de l'autoritarisme avec punition et interdiction, au lâcher-prise permissif et à la démission, à l'injonction d'aller consulter un psychologue, pour enfin revenir à la sanction et aux cris, sans résultats aucun, si ce n'est de renforcer l'opposition adolescente. Force est de constater qu'ils ont perdu tout contrôle sur leurs enfants, ces derniers ayant repris à leur compte une domination sur leurs parents.
Mais que se passe-t-il? Serait-il plus difficile aujourd'hui d'avoir de l'autorité sur ses enfants? Et comment reprendre les rênes lorsque ce sont eux qui ont pris le pouvoir? Est-ce la seule et entière responsabilité des parents?
Allons faire préalablement quelques constats autour de cette problématique et y trouver des pistes de réflexion.
Notre société d'aujourd'hui
Dans notre paysage sociétal extrêmement mouvant, la cellule familiale a connu ces dernières décennies de grandes mutations, ébranlant la structure même de son organisation, et ses repères ont volé en éclats. La famille est aujourd'hui multi-organisationnelle: décomposée, recomposée, monoparentale, traditionnelle ou pas...
L'accélération d'une société de plus en plus individualiste et autocentrée, ainsi que l’évolution de la vision du couple et du rôle de chacun, ont amplifié ce phénomène.
Les relations parents-enfants se sont modifiées, voulant faire la part belle à l'épanouissement de chacun, y compris de celui des enfants, laissant de côté l'autorité au profit d'une notion de "parentalité" qui donne l'injonction aux parents de s'adapter à leurs enfants et à leurs besoins. Besoins de plus en plus survalorisés par une société prônant toujours plus de consommation et de plaisir. La tâche est rendue très difficile, voire totalement paradoxale, du fait du décalage grandissant entre les valeurs prônées par notre société consumériste et les exigences de l'éducation au travers d'une autorité parentale qui doit poser des limites. Dans une société d'hyper consommation, dire "non" semble plus périlleux encore face à un mastodonte sociétal gourmand, qui déploie toujours davantage la valeur (ou antivaleur devrais-je dire) de l'immédiateté comme seule loi.
En 2009 déjà, le philosophe Bernard Stiegler annonçait l'essoufflement de cette société consumériste, avec fort heureusement l'émergence de nouveaux modèles de croissance.
Extrait de La Tribune: La société consumériste a atteint ses limites. Bernard Stiegler
Ce modèle qui détourne tous les désirs du consommateur vers les objets de consommation et se transforme rapidement en machine à détruire la libido....Alors règne la consommation addictive fondée sur la satisfaction immédiate des pulsions. Le résultat est que la société de consommation ne devient plus productrice de désirs mais de dépendances. C'est un modèle dangereux: le consommateur y devient malheureux comme peut l'être le toxicomane qui dépend de ce qu'il consomme mais déteste ce dont il dépend. D'où une frustration grandissante et des comportements qui inquiètent comme la destruction de la structure familiale, la peur des adultes à l'égard de leurs propres enfants ou une déprime généralisée...
Comprendre les mécanismes de notre environnement est indispensable à qui veut rester acteur de sa vie, une condition sine qua non à notre adaptation et à notre survie. Mais aujourd'hui, c'est une course en avant sans cesse renouvelée par les dictats d'une technologie de pointe boulimique, qui nous pousse à nous sur-adapter en permanence. Et ne jetons pas trop vite la pierre aux enfants et aux adolescents, qui tout comme les adultes, sont victimes eux aussi de cette société de consommation. Oui mais, ce sont eux les enfants, et les parents doivent pouvoir se positionner comme tels.
Pour John Kabat-Zinn, professeur de médecine à Boston, comment un enfant pourrait-il s'intégrer à une société où, de son point de vue, les adultes sont devenus fous?
L'année dernière, j'étais assis avec ma femme à une terrasse de café à Strasbourg, et j'ai vu une jeune mère, à une autre table, pendue à son téléphone pendant une heure et demie tandis que son enfant de 3 ou 4 ans tentait en vain d'attirer son attention. On parle beaucoup de trouble du déficit de l'attention (l'hyperactivité) à propos des enfants, mais c'est celle des parents, distraits par la technologie, qui laisse à désirer!
...Pour arranger le tout, nous portons dans nos poches des super-ordinateurs qui, en fait, nous dirigent. Ils nous imposent une sur-information constante et une obligation de connexion permanente qui contribuent au stress.
L'autorité, axe médian de l'autoritarisme et du laxisme
C'est une notion complexe faisant souvent polémique, mal appréhendée dans ce qu'elle représente vraiment. L'autorité n'est surtout pas de l'autoritarisme, ni une prise de pouvoir ou une quelconque domination sur autrui. L'autorité n'utilise pas la force ou la violence pour faire entendre son point de vue. A contrario, le manque d'autorité débouche sur du laxisme, une perte de repères et un vide sidéral existentiel qui provoque l'angoisse et la violence. Les enfants livrés à eux-mêmes sont en manque de cadre et de repères, ces règles qui balisent un monde inconnu et les rassurent; ils les réclament d'ailleurs à corps et à cris.
Il y a comme un grand écart entre la peur de l'autoritarisme aujourd'hui, et la permissivité qui mène toutes les deux au même constat d'échec. Entre "obéis et tais-toi" d'avant mai 68 et Françoise Dolto, et "il est interdit d'interdire" de la deuxième moitié du XXe siècle, il y a un monde. Mais qu'est-ce que l'autorité?
Étymologiquement, de la racine "augerer", l'autorité signifie faire naître, enraciner et augmenter dans une notion de croissance. L’autorité a donc la capacité de faire grandir quelque chose, ce qui est de bon augure lorsque l'on parle de l'autorité des parents. La légitimité, la responsabilité, la connaissance et la sagesse en sont ses gardes rapprochées, la transmission et l'éducation, sa mission de vie, vitale pour le bien fondé des générations en construction.
La légitimité implique un positionnement de son rôle de parents et d'éducateurs, et passe forcément par l'acceptation de déplaire à ses enfants ainsi que l'acceptation du conflit comme réponse à leurs frustrations. Elle est la colonne vertébrale d'une bonne autorité, et demande à se remettre en question, parfois à tâtonner et à se tromper. Mieux vaut l'erreur que la démission. Beaucoup de parents que j'accompagne craignent de perdre l'amour et le respect de leurs adolescents en leur posant des limites, alors que finalement, ils provoquent tout ce qu'ils voulaient éviter.
Cependant, poser des limites n'est pas un prétexte à exprimer sa colère ni à se justifier; il y a plusieurs façons de dire non et la bonne nouvelle c'est que cela s'apprend, pas besoin d'être un super-héros. On ne le dira jamais assez, l'autre va jusqu'où je le laisse aller et il en va de la responsabilité des parents de circonscrire le territoire et la position de chacun.
A lire ou à relire un ancien article de mon blog, toujours d'actualité: Savoir dire Non
L'enfant roi est un tyran
Placer l'enfant au cœur de la société, l'a élevé au rang d'enfant-roi omnipotent, tourné exclusivement sur lui-même, tempêtant à la moindre contrariété et privé de toute faculté d'adaptation. Sans limites et sans cadre référentiel, l'enfant et plus tard l'adolescent, prennent le pouvoir de la relation sur leurs parents, et deviennent de vrais tyrans prompts à les faire tourner en bourrique, peu préparés et armés à s'intégrer à la société dans laquelle ils devront pourtant bien vivre. L'enfant roi n'est pas heureux, car la confrontation avec le monde est rendue impossible. Il teste toujours davantage les limites de ses parents, afin de trouver sa place et sa sécurité. Une escalade s'installe très vite pour déboucher sur des conflits toujours plus violents, expression de l'impuissance des uns et des autres.
Si l'autoritarisme a privé de nombreuses générations de toute liberté individuelle et de la capacité à exprimer leurs émotions, le laxisme a inversé les rôles, mettant en danger les enfants livrés à leurs pulsions d'omnipotence.
Une piste de réflexion supplémentaire dans un article du Telegraph intitulé "La Suède est-elle en train de créer une génération de petits cons? La journaliste Nadia Daam cite Judith Woods qui s'interroge sur la politique familiale suédoise, pourtant classée en tête de liste par L'Unicef.
Extrait:
Le problème, c’est que la Suède pourrait aussi être en train de former une génération de petits cons prétentieux, instables et aux tendances dépressives. C’est résumer de manière à peine grossière les propos tenus par Judith Woods sur le site du Telegraph. La journaliste vient en effet de mettre un coup de canif rageur dans le tableau idyllique de l’éducation à la suédoise.
C’est que cette manière d’élever les enfants est à l’opposé de l’éducation britannique démodée qui est la sienne. Ainsi, si sa fille de 5 ans se lance dans une crise dont les enfants et les pervers narcissiques ont le secret ("Quoi!? Tu me forces à éteindre la télé pour aller à l’école? Tu es un monstre je ne t’aime plus, tu n’es plus ma copine"), elle ne la considérera pas comme un individu qui doit être écouté, mais comme un enfant capricieux à remettre illico dans le droit chemin. Sa réponse à cette tentative de manipulation sera donc:
"Je n’ai jamais été ton amie. Les amis ne lavent pas tes chaussettes, ils ne t’achètent pas un manteau chaud pour l’hiver, pas plus qu’ils ne te forcent à te brosser les dents. Maintenant, tu t’habilles ou je téléphone à l’école. Ils appelleront la police pour qu’elle vienne arrêter et expulser tes Sylvanians."
Fermeté, recadrage et un soupçon de menace. C’est selon elle la seule réaction possible face à un enfant capricieux. Ça fait d’elle une mère qui aime son enfant mais qui refuse de se laisser marcher sur la tête. Contrairement aux parents suédois qui la désespèrent.
"On peut négocier avec un adulte, certainement pas avec un enfant. De la même manière que laisser des pré-ados fixer l’heure de leur coucher est totalement irresponsable."
L'autorité, l'adolescence et la thérapie systémique et stratégique
Tout d'abord, un premier recadrage s'impose concernant la relation des parents avec leur ado; ils vont devoir s'adapter et réajuster le mode d'autorité à cette étape charnière qu'est l'adolescence. En effet, leurs chères petites têtes blondes ont des poils qui poussent et des hormones qui les submergent de partout, les attirant vers le besoin irrépressible d'explorer ce nouveau monde. C'est un processus physiologique et psychologique très déroutant et angoissant pour les adolescents (comme pour les parents) qui ne se reconnaissent plus dans cette phase hybride et pourtant constructrice de leur future identité d'adulte.
Malheureusement dans nos sociétés modernes, aucun rituel ne vient accompagner ce changement.
Poser des limites à des adolescents ivres de liberté et de nouvelles expériences, est un peu comme se frapper la tête contre un mur et attendre qu'il se fende le premier.
C'est là un virage à amorcer à l'aide de stratégies telles que "Sillonner la mer à l'insu du ciel, Rajouter des bûches pour éteindre le feu", stratégies que nous voyons en séances, et qui permettent aux parents de véhiculer des messages paradoxaux qui "feintent" leurs enfants avec bienveillance; tout en leur donnant plus d'espace pour respirer, les limites se trouveront d'elles-mêmes. Les résultats attendus sont très vite au rendez-vous.
Pour en savoir plus sur le sujet, je vous recommande un excellent livre de Giorgio Nardone: Chevaucher son tigre (ou comment résoudre des problèmes compliqués avec des solutions simples).
Alors que faire lorsque le système parents-adolescents, enkysté dans le conflit, s'est emballé dans une boucle infernale?
Tout d'abord, vouloir obliger son adolescent à venir consulter, alors qu'il n'est pas demandeur, qu'il n'a pas de problème selon lui, est contre-productif et s'avère être la meilleure façon de le rendre encore plus résistant. En effet, le problème est interactif. Ce sont les parents qui doivent reprendre le contrôle de la relation, et non pas l'inverse. D'autre part, cela stigmatise davantage encore plus le jeune comme" porteur du problème", et l'accabler ne favorisera pas une meilleure relation, bien au contraire.
La première stratégie consiste donc à travailler avec les parents dans l'objectif immédiat d'assouplir le système relationnel. Pour cela, il s'agira d'établir scrupuleusement l'inventaire de tout ce qu'ils ont mis en place pour solutionner le problème et qui n'a pas fonctionné, pour les stopper. En thérapie systémique et stratégique, on appelle cela les tentatives de solutions. En effet, pourquoi continuer à dire, à faire, quelque chose qui non seulement ne résout pas le problème mais à contrario l'aggrave?
On peut décliner 3 à 4 thèmes récurrents: Le scolaire, la maison, l'argent et les sorties. Les addictions aux écrans et au cannabis faisant figure d'emballage cadeau....
Les principales tentatives de solutions des parents sont toujours les mêmes:
* Il (elle) ne bosse pas = On le pousse, on lui répète tous les jours inlassablement: "Tu as fait ton travail? Encore sur ton ordinateur? Encore sur ta tablette? Encore sur ton téléphone? Encore sur les réseaux sociaux? C'est pas comme ça que tu vas y arriver! Il faut travailler pour réussir!" etc.
La question à se poser est: Est-ce que ça marche? Est-ce que ça améliore ou est-ce que ça aggrave? Que répond votre fils ou fille? Se remet-il en mouvement?
* Il (elle) ne range pas sa chambre, ne participe pas aux corvées de la maison = On le pousse, on lui répète inlassablement:" Range ta chambre! Viens un peu nous aider! Dans la vie il n'y a pas que le plaisir!" etc.
La question à se poser est: Est-ce que ça marche? Est-ce que ça améliore ou est-ce que ça aggrave? Que répond votre fils ou fille? Se remet-il en mouvement?
* Il (elle) réclame toujours plus d'argent, ne sait pas gérer = On lui en redonne quand il n'en a plus, on lui paye son téléphone malgré son argent de poche.....
La question à se poser est: Est-ce que ça marche? Est-ce que ça améliore ou est-ce que ça aggrave? Que répond votre fils ou fille? A-t-il toujours besoin davantage d'argent? Trouve-t-il des limites à ses dépenses?
Dois-je continuer l'énumération?...
Loin de moi l'idée de vouloir accabler les parents car cela se fait en séance avec la plus grande bienveillance. Très souvent, lorsqu'ils réalisent qu'ils faisaient toujours de la même chose sans résultats autre que l'aggravation, ils deviennent alors très demandeurs pour apprendre à faire autrement. Après avoir stoppé les tentatives de solution, il est impératif de les remplacer par le fameux 180 degrés, pilier de la thérapie stratégique de Palo Alto.
Plutôt que de continuer à s'épuiser et à pousser ses adolescents, un peu comme le faisait Sisyphe, le 180 degrés consiste à freiner en donnant l'injonction d'en faire encore moins. Ceci n'est que le mouvement à imprimer, tout le travail du thérapeute et des parents, alors co-thérapeutes, consistera à créer sur mesure de nouveaux comportements, qui prendront en compte le contexte de chaque famille.
Pour exemple, lorsque vous dites à votre adolescent qui sèche de plus en plus les cours et se lève lorsque vous rentrez du travail:
" Déjà debout? Mais pourquoi tu te lèves alors que tu n'as plus de cours? Reste donc couché, c'est trop déprimant de se lever quand on n'a plus aucun projet" et ceci avec la plus grande bienveillance, répété chaque jour comme un rituel.
De deux choses l'une, soit votre adolescent continue à prendre le jour pour la nuit, mais il vous obéit! Et cela n'est pas pensable...
Soit, il se remet en mouvement et peut continuer à jouer à son jeu préféré, celui de la désobéissance.
C'est ce que l'on appelle "sillonner la mer à l'insu du ciel" et croyez-moi, ça marche...
Ce bref résumé est évidemment réducteur du contenu des séances, mais il pourra vous donner un aperçu de ce qui est mis en place pour réguler les conflits parents-adolescents, en stopper l'hémorragie, voire, retrouver une certaine harmonie.