{youtube}-NQbHHKburk{/youtube}
Je vais introduire cette question à partir d'un cas clinique que j'ai eu à traiter.
Marco est un jeune homme de 30 ans. Il vient consulter pour une aide psychologique. Il est désespéré. Il raconte qu'il y a 6 mois, en revenant d'un match de football avec deux amis, il a été percuté par une voiture qui le dépassait malgré une double ligne. Ses deux amis ont été tués et il a survécu.
A partir de ce moment, sa vie a été bouleversée. Chaque jour il revit cet accident. Il a le souvenir des morceaux de métal éparpillés, de l'odeur de la voiture qui a pris feu, du bruit épouvantable du choc. Il a des flashback et fait des cauchemars la nuit.
Il dit que sa vie a été divisée : il y a la vie avant et la vie après. Ce qu'il a vécu est exactement la signification du mot grec trauma qui veut dire blessure. C'est une expérience du passé qui revient dans son présent. Marco cherche à oublier ce qu'il s'est passé mais comme disait Montaigne, "il n'y a rien qui se fixe plus dans la mémoire que le désir de l'oublier" et plus Marco essaie de ne plus penser, plus les souvenirs reviennent.
Il s'aide aussi autrement : il a cessé de conduire et évite toutes les routes qui pourraient le ramener vers le lieu de l'accident.
Marco continue à parler de ce qui s'est passé à sa famille et à ses proches ; il sait que ce n'est pas de sa faute mais il a peur d'être un peu coupable. Il dit "je n'aurais pas pu faire autrement" et tout le monde acquiesce et le rassure. Même les familles de ses amis décédés dans l'accident le rassurent, ce qui lui permet de se sentir mieux sur le moment mais le conduit à demander plus de réassurance.
Marco montre les mécanismes fondamentaux du contrôle de ses propres pensées qui fixent encore plus le souvenir. Penser à ne pas penser fait penser plus.
Comme dans toutes les situations liées au trauma : plus il évite, plus il confirme qu'il n'est plus capable de faire ce qu'il faisait auparavant.
Quant à la réassurance, plus ça marche sur le moment, plus la personne, en l'occurrence Marco, devient dépendante et rend le trauma toujours plus présent.
Le thérapeute doit faire face à une situation de quelqu'un qui a besoin d'aide dans l'urgence, une personne qui a besoin d'être comprise et conduite fermement pour dépasser le trauma.
La relation doit être chaleureuse : " je comprends très bien" mais en même temps, le patient doit être conscient qu'il a en face de lui un expert qui peut l'aider.
J'ai dit à Marco que je le comprenais et que je comprenais ce qu'il était en train de vivre et que tout cela était normal. Je lui ai aussi dit qu'il était possible de résoudre son problème mais que je devais lui demander de faire quelque chose de difficile et douloureux pour le préparer à accepter.
1ère prescription : le "roman du trauma"
Je lui ai demandé de prendre du temps chaque jour pour raconter, sur une feuille de papier, l'événement traumatique dans ses plus petits détails, toutes les sensations vécues, tout ce qu'il avait en tête de plus terrible....
Et de refaire le même exercice tous les jours. Une fois terminé, de mettre le papier dans une enveloppe et de me rapporter tout "le roman du trauma" à la séance suivante.
La réaction de Marco a été : "je ne peux pas, je ne veux pas y penser".
L'attitude du thérapeute devant ce type de refus doit être la souplesse, l'accueil, une communication métaphorique, suffisamment évocatrice pour faire accepter au patient la prescription.
En la matière, je lui ai dit que sa blessure pendant ce laps de temps de 6 mois s'était infectée, qu'elle était pleine de pus et que la seule solution pour guérir était le recours au bistouri. Si je connaissais un moyen moins agressif, bien évidemment je l'utiliserais mais j'ai insisté sur le fait qu'il n'y en avait pas.
2ème prescription : la "conjuration du silence"
Je lui ai dit que continuer à parler à ses proches pour se réassurer était comme de l'eau avec un fertilisant que l'on verse sur une plante pour activer sa croissance. Au lieu de communiquer avec toutes les personnes de son entourage, Marco aurait eu intérêt à écrire plus tôt son roman du trauma.
Marco est revenu en deuxième séance avec un visage plus détendu ; il m'a donné son roman du trauma. Il a souligné que les premiers jours, l'exercice avait été vraiment terrible, qu'il avait été submergé, mais qu'à partir du 3ème jour, ses souvenirs revenaient moins, qu'il écrivait en étant plus détaché et que parallèlement, le fait de ne plus en parler autour de lui l'avait libéré. Il a ajouté qu'il lui était venu à l'esprit l'idée de reconduire.
Le mécanisme de la prescription
Le fait d'écrire le roman du trauma a des effets psycho-physiologiques. Cela permet d'externaliser les images et de bloquer la tentative de solution dysfonctionnelle consistant à essayer à tout prix d'oublier.
Ecrire a une fonction cérébrale qui est de faire passer des souvenirs de court ou moyen terme à des souvenirs de long terme. Ce phénomène ne se déclenche pas avec la parole mais bien avec l'écriture.
Ecrire permet aux souvenirs de se transférer dans les archives du passé.
Pendant que l'on écrit, on s'habitue au souvenir, on se détache des émotions (peur, colère...). C'est de cette façon que le trauma se déplace dans le passé et favorise la cicatrisation.
Je lui ai demandé de faire le roman en cas de besoin, si par exemple les souvenirs revenaient spontanément afin de les archiver définitivement dans le passé.
Aider marco à recommencer à vivre.
3ème prescription : le "comme si"
Je lui ai demandé de se poser chaque matin la question suivante : qu'est-ce que je ferai de différent si j'avais complètement dépassé ce problème ? et je lui ai recommandé de choisir une réponse assortie de la plus petite des ambitions.
Nous avons eu 4 autres séances et je l'ai suivi pendant qu'il récupérait toute sa vie. Il n'a plus utilisé le roman du trauma et a recommencé à vivre.
Conclusion :
Je conclurai en citant un aphorisme de Robert Frost "la meilleure façon de s'en sortir, c'est de passer à travers les choses et d'avancer". Parcourir le trauma, le traverser et en sortir, telles sont les étapes cliniques incontournables.
Nous enregistrons une efficacité de 95% dans la résolution des traumatismes. Les 5% de cas non résolus le sont parce que le thérapeute n'est pas parvenu à faire accepter au patient la prescription.